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Avignon : le Palais des Papes… et la réponse royale !… et la réponse royale !
Mort à crédit (197)
Mais aussi, à force de ceintures, je me suis dessalé… toujours avec les « abonnements »… Question des finances y avait pas de rentrées régulières… Rien que des « sorties »… Il se donnait un mal énorme pour sa comptabilité… Il devait la montrer à sa
femme. Ce contrôle l’exaspérait… Ça le foutait en rogne infecte… Il transpirait pendant des heures… Rien que des queues et des zéros…
Enfin, tout de même, y a un chapitre où il m’a jamais truqué, jamais déçu, jamais bluffé, jamais trahi même une seule fois ! C’est pour mon éducation, mon enseignement scientifique. Là, jamais il a flanché, jamais tiqué une seconde !… Jamais il a fait défaut ! Pourvu que je l’écoutasse, il était constamment heureux, ravi, comblé, satisfait… Toujours je l’ai connu prêt à me sacrifier une heure, deux heures, et davantage, parfois des journées entières pour m’expliquer n’importe quoi… Tout ce qui peut se comprendre et se résoudre, et s’assimiler, quant à l’orientation des vents, les cheminements de la lune, la force des calorifères, la maturation des concombres et les reflets de l’arc-en-ciel… Oui ! Il était vraiment possédé par la passion didactique. Il aurait voulu m’enseigner toute la totalité des choses et puis aussi de temps à autre me jouer un beau tour de cochon ! Il pouvait pas s’en empêcher ! ni dans un cas ni dans l’autre ! Je pensais bien moi, à tout ça, dans l’arrière-boutique tout en réparant son bastringue… C’était sa nature foncière, c’était un homme qui se dépensait… Il fallait qu’il se lance à bloc dans un sens ou bien dans l’autre, mais alors vraiment jusqu’au bout. Il était pas ennuyeux ! Ah ! ça on pouvait pas dire ! Ce qui me piquait la curiosité c’était d’un jour aller chez lui… Il me parlait souvent de sa daronne, mais jamais il me la montrait. Elle venait jamais au bureau, elle aimait pas le Génitron. Elle devait avoir ses motifs.
Quand ma mère a été bien sûre que j’étais bien casé, que je partirais pas tout de suite, que j’avais un emploi stable chez ce des Pereires, elle est venue exprès, elle-même, au Palais-Royal, m’apporter du linge… C’était un prétexte au fond… pour se rendre un peu compte… du genre et de l’aspect de la maison… Elle était curieuse comme une chouette, elle voulait tout voir, tout connaître… Comment il était le Génitron ?… La façon dont j’étais logé ? Si je mangeais suffisamment ?
De sa boutique jusque chez nous c’était pourtant pas très loin… À peine un quart d’heure à pied… En arrivant malgré ça elle en râlait de fatigue… Entièrement sonnée qu’elle était… Je l’ai aperçue à grande distance… du bout de la Galerie. Je causais avec un abonné. Elle s’appuyait sur les devantures, elle stationnait sans avoir l’air… Elle se reposait tous les vingt mètres… Ça faisait plus de trois mois déjà qu’on s’était pas vus… Je l’ai trouvée d’une extrême maigreur et puis elle s’était comme bistrée, jaunie, froncée des paupières et des joues, toute ridée autour des yeux. Elle avait l’air vraiment malade… Une fois qu’elle m’a eu donné comme ça mes chaussettes, mes caleçons et mes grands mouchoirs, elle m’a tout de suite parlé de papa, sans que je lui aie rien demandé… Il s’en ressentirait pour la vie, qu’elle m’a aussitôt sangloté, des conséquences de mon attaque. Déjà, on l’avait ramené deux fois en voiture du bureau… Il tenait plus en l’air… Il était tout le temps sujet à des défaillances… Il lui faisait me dire qu’il me pardonnait volontiers, mais qu’il voulait plus me recauser… avant très longtemps d’ici… avant que je parte au régiment… avant que j’aie changé tout à fait d’allure et de mentalité… avant que je revienne du service…
Courtial des Pereires, il rentrait juste de faire son tour, et probablement des « Émeutes ». Il devait avoir peut-être paumé un peu moins que d’habitude… Toujours est-il qu’il est devenu là, de but en blanc, extrêmement aimable, accueillant, amène au possible…
« Enchanté de la voir »… Et à mon sujet ? Rassurant ! Il s’est mis tout de suite dans les frais pour séduire ma mère, il a voulu qu’elle monte en haut pour causer un peu avec lui… dans son bureau personnel… à l’entresol « tunisien »… Elle avait du mal pour le suivre… C’était un terrible tire-bouchon, surtout jonché des tas d’ordures et des paperasses qui dérapaient. Il était extrêmement fier de son « bureau tunisien ». Il voulait le montrer à tout le monde… C’était un ensemble atterrant dans le style hyper-fouillasson, avec des crédences « Alcazar »… On pouvait pas rêver plus tarte… Et puis la cafetière mauresque… les poufs marocains, le tapis « torsades » si crépu, emmagasinant lui tout seul la tonne solide de poussière… Jamais on n’avait rien tenté… Même une ébauche de nettoyage… D’ailleurs les amas d’imprimés, les cascades, les monceaux d’épreuves, de plombs, de morasses à la traîne, rendaient tout effort dérisoire… Et même il faut bien l’avouer, ça pouvait devenir très dangereux… C’était un véritable risque de venir troubler l’équilibre… Tout ça devait rester tranquille, bouger en tout le moins possible… Le mieux encore, on se rendait compte, c’était de semer au hasard, au fur et à mesure, d’autres nouveaux papiers litières. Ça donnait quand même un peu de fraîcheur en surface… et une sorte de coquetterie.
A suivre