Courtial se chargeait dès lors, c’était ainsi entendu, de toutes les démarches essentielles, les petites comme les grandes approches, entrevues… recherches d’arguments… réunions… discussions prémonitoires, défense des mobiles, tout ce qu’il fallait en somme pour attirer, amadouer, convaincre, enthousiasmer, tranquilliser un Consortium… Tout ceci, bien entendu, en temps opportun !… Là-dessus on ne rigolait pas !… Point de hâte !… Point de cafouillages !… De brutalité !… Nous la craignions… La brusquerie fait tout rater ! C’est la précipitation qui culbute tous les pronostics !… Les plus fructueuses entreprises sont celles qui mûrissent très lentement !… Nous étions extrêmement ennemis, implacablement hostiles à tout bousillage précoce… à toute hystérie !… « Tout commanditaire est un vrai oiseau pour s’enfuir, mais une tortue sur la douille. »
L’inventeur, afin qu’il entrave le moins possible les pourparlers, toujours si tellement délicats, devait déblayer tout le terrain… rentrer immédiatement chez lui… fumer sa pipe en attendant… ne plus s’occuper du manège… Il serait dûment averti, convoqué, instruit du détail, dès que son histoire prendrait tournure… Cependant c’était fort rare, qu’il reste comme ça peinard au gîte !… À peine une semaine d’écoulée, il revenait déjà à la charge… pour demander des nouvelles… Nous apporter
d’autres maquettes… les compléments des projets… Des épures supplémentaires… Des pièces détachées… Il revenait encore et quand même, on avait beau râler très fort, il se ramenait de plus en plus… lancinant, inquiet, navré… Un coup il se foutait à beugler dès qu’il se rendait un peu compte… Il faisait une crise plus ou moins grave… Et puis on le revoyait plus… Y en avait qu’étaient pas si cons… mais c’était un tout petit nombre… qui parlaient d’aller au pétard, par les voies légales, porter la plainte au commissaire, si on rendait pas leur pognon… Courtial, il les connaissait tous. Il se débinait à leur approche. Il les voyait arriver de loin, de l’autre côté des arcades… C’était pas croyable comme il avait l’œil perçant pour le repérage d’énergumènes… C’était rare qu’il se fasse poisser… Il se tirait dans l’arrière-boutique agiter un brin les haltères, mais encore plutôt à fond de cave… Là il était encore plus sûr… Il refusait tout entretien… Le dabe qui revoulait sa mise il écumait pour des pommes…
« Tiens-le ! Ferdinand ! Tiens-le bien ! » qu’il me recommandait cette salope. « Tiens-le ! Pendant que je réfléchis !… Je le connais de trop ce prolixe ! Ce bouseux de la gueule ! chaque fois qu’il vient m’interviewer j’en suis pour deux heures au moins !… Il m’a fait perdre déjà dix fois tout le fil de mes déductions ! C’est une honte ! C’est un scandale ! Tue-le ce fléau ! Tue-le ! je t’en prie, Ferdinand ! Le laisse plus courir par le monde !… Brûle ! Assomme ! Éparpille ses cendres ! Je m’en fous résolument ! Mais de grâce à aucun prix, tu m’entends, ne me l’amène ! Dis que je suis à Singapour ! à Colombo ! aux Hespérides ! Que je refais des berges élastiques à l’isthme de Suez et Panama. C’est une idée !… N’importe quoi ! Tout est bon pour pas que je le revoye !… Grâce, Ferdinand ! Grâce !… »
C’était moi donc, raide comme balle, qui prenais l’averse en entier… J’avais un système, je veux bien… J’étais comme le « Chalet par soi », je l’abordais en souplesse… J’offrais aucune résistance… Je pliais dans le sens de la furie… J’allais encore même plus loin… Je le surprenais le dingo par la virulence de ma haine envers le dégueulasse Pereires… Je le baisais à tous les coups en cinq sec… au jeu des injures atroces !… Là j’étais parfaitement suprême !… Je le vilipendais ! stigmatisais ! couvrais d’ordures ! de sanies ! Cette abjecte crapule ! cette merde prodigieuse ! vingt fois pire ! cent fois ! mille fois encore pire qu’il avait jamais pensé seul !…
A suivre