Moi question de l’ordre (52)
Moi question de l’ordre, c’était Brinon ! je dépendais de lui. c’était que j ’y aille !. c’était lui de prévenir la police !. une des polices ! et que c’était un foutu désordre, tout le Lowen, les gogs et le couloir ! je me tâte pas longtemps dans les circonstances délicates. le chirurgien fou, l’autre sous lui. qui beugle !. c’était pas à atermoyer ! déjà Lili avait remis Bébert dans son sac. jamais l’un sans l’autre !. elle m’attendrait chez Mme Mitre. j’irai voir Brinon tout seul. Mme Mitre dirigeait
l’administration. vraiment la personne de très grand cœur et de très grand tact. vous pouviez parler avec elle. c’est elle qui devait répondre ceci. cela. aux dix mille. cent mille plaintes par jour !. vous pensez si ça se plaignait 1142 à mandats ! et femmes et enfants !. de tout ! et pour tout ! et les « travailleurs en Allemagne » et les quarante-six sortes d’espions ! et la moucharderie générale !. qu’on arrête tel !. telle !. et Laval !. et Bridoux !. vite !. Brinon !. et moi-même ! et Bébert ! l’exil, marmite des dénonciations ! bouille ! bouille !. qu’est-ce qu’ils ont dû avoir à Londres !. mettez dix ans de Londres, il en revenait pas un pendus !. centuple les dénonciations !. surtout les condamnés à mort ! la toute si pauvre suinteuse calebombe qui vous cligne au fond d’un grenier. vous grattez pas !. c’est tel ! tel condamné à mort, qui sue tremble trempe à griffonner mille mille horreurs sur tel et tel autre paria, voué à la torture saligaud ! tant plus le dénoncer aux Fritz ! à la Bibici ! à Hitler ! au Diable ! ah, que Tartre m’appert puéril morvaillon raté tout pour tout !… là je vous parle de vrais incarnés délateurs ! la tête déjà sous le couperet ! les conditions, une fois par siècle !… saluez !… complots ? des complots à remuer à la pelle ! plein la Milice !… plein le Fidelis !… l’Intelligence Service partout ! quatre postes émetteurs nuit et jour sur tout ce qui se passait ! là ! là. vous pouviez très bien les entendre. au Prinzenbau même ! (notre mairie). nos noms. prénoms. faits. gestes. intentions. minute par minute. douze douzaines de férues bignolles, perroquettes, blanquettes, bien agrippées à nos couilles, auraient pas fait mieux, pas donné des pires ragots ! je dis !. on savait ! mais la vie est un élan qu’il faut faire semblant d’y croire. comme si rien était. plus oultre ! plus oultre ! moi je devais recevoir au « 11 ». mes 25. 50. malades ! leur donner ce que je pouvais pas. pommade au soufre qui venait jamais. gonacrine, pénicilline que Richter devait recevoir. qu’il recevait jamais !. la vie c’est l’élan. et de se taire !. dans une occasion, plus tard, j’ai pratiqué à Rostock, Baltique, avec un confrère, le Docteur Proséidon, qui revenait du Paradis de l’Est. il avait la grande habitude. le visage qu’il faut avoir dans les Etats vraiment sérieux. l’expression de jamais plus penser !. jamais plus rien !. « Même si vous ne dites rien, ça se voit !. habituez-vous à rien penser ! » l’admirable confrère ! qu’est-il devenu ?. il voyait le Paradis partout ! « Si Hitler tombe, vous n’y coupez pas ! » parole d’un fort intellectuel : « L’Europe sera républicaine ou cosaque ! ». elle sera les deux, foutre ! et chinoise !
Bien ! bien ! vous me demandez rien ! je vous dis ce que je pense !. mettez le Gazier en cosaque. les toubibs muets ! leurs mémères muettes !. mon confrère Proséidon était resté là-bas quinze ans. au Paradis !. « Pendant quinze ans j’ai ” ordonné “, prescrit. pendant quinze ans mes malades ont porté mes ordonnances au pharmacien. ils sont toujours revenus bredouille. il avait pas !. oh sans protester !
pas un mot !… les malades non plus… pas un mot !… moi non plus. pas un mot !… » quand M. Gazier, cosaque, saura vraiment tout son métier, il y aura plus un mot à dire. nous là à Siegmaringen on était pas encore au point. on avait encore des idées. des sortes d’espèces de prétentions. je protestais pour la gale, le soufre que j’aurais dû avoir. comme Herr Frucht pour ses cabinets, qu’ils auraient dû fonctionner. je manquais encore beaucoup de dressage ! Herr Frucht est mort fou, plus tard. plus tard.
Zut ! à ma chambre !. le chirurgien hurluberlu et sa victime hurlant sous lui. m’appelant : au secours ! il fallait tout de même que j’avise ! qu’on me déblaye ma piaule ! je dis à Lili : « assez de scandale ! au Château ! ». j’emmène Lili. Lili-Bébert. j’avais la carte permanente. « priorité et à toute heure » j’avoue !. priorité !. par la poterne sous la voûte. et la pente creusée en plein roc !. vous auriez vu un peu cette voûte !. splendide montée cavalière. vers la Cour-Haute !. la Salle des Trophées !. toute la voûte, hauteur de Lances ! vous y auriez vu monter, facile, trois. quatre escadrons botte à botte ! l’ampleur d’une époque. et Croisades ! de cette Cour-Haute, tout de suite à droite, l’antichambre Brinon. je laisse Lili chez Mme Mitre, et je serre la main du planton, soldat de France ! un vrai ! oui ! oui !. à fourragère !. tout !. et même médaillé militaire. comme moi !. toc !… toc ! il frappe, il va m’annoncer, je veux parler à M. de Brinon !. je suis reçu tout de suite. il est là comme je l’ai connu place Beauvau. et le même bureau à peu près. peut-être pas tout à fait aussi grand. moins de téléphones. mais la même tête, la même expression, le même profil. je lui parle, je lui dis très respectueusement qu’il pourrait peut-être ?. etc. etc. mon Dieu ! mon Dieu ! il savait déjà !. et bien d’autres choses !. les gens en place lisent tant de rapports ! et reçoivent au moins cent bourriques par jour ! vous pouvez rien leur apprendre !. Sartine ! Louis XIV ! il savait tout ce qu’on disait de lui, Brinon. qu’il était M. Cohen. pas plus de Brinon que de beurre au chose !. pas plus que Nasser est Nasser !. petites devinettes pour assiettes !… que sa femme Sarah lui dictait toute sa politique. et par téléphone. dix fois par jour, de Constance ! tous les agoniques s’en marraient ! tout le Fidelis ! et les tables d’écoute des bunkers. toutes les polices !… et Radio-London !… tout !. il savait, et il me regardait que je savais. à un moment, y a plus de secrets. y a plus que des polices qu’en fabriquent. moi je venais lui parler de notre chambre, qu’il serait bien aimable de faire envoyer un petit renfort d’un peu de gendarmes ! que je pouvais plus recevoir personne. que mon lit était occupé. que tout l’hôtel était archi-comble !. que c’était un désordre extrême !. je lui donne les détails sur le dingue et son infirmière.
Brinon était d’assez sombre nature, d’expression. dissimulé. une sorte d’animal des cavernes (X dixit)… à son bureau il répondait presque plus. il était pas sot. j’ai toujours eu l’impression qu’il savait très exactement que tout était plus que la chienlit, question de jours.
« Oh, vous savez, un médecin fou !. il est pas le seul !. pas le seul, Docteur !. nous savons que sur nos douze médecins soi-disant français, soi-disant réfugiés français, dix sont fous. fous bien fous, repérés échappés des asiles. en plus écoutez-moi, Docteur ! Berlin nous envoie, vous allez recevoir, le ” Privat-Professor ” Vernier, ” Directeur des Services Sanitaires Français “. je sais moi, aucune surprise, ma femme me l’a téléphoné, que ce Vernier est un Tchèque. et qu’il a servi d’espion à l’Allemagne pendant dix-sept ans !. à Rouen d’abord. puis à Annemasse. puis au Journal Officiel. livreur. voilà le dossier !. voilà sa photo !. voilà ses empreintes !. de ce jour, il est votre chef, Docteur ! votre chef ! ordre de Berlin !. pour celui qui vous embarrasse, dans votre chambre, adressez-vous au-dessus chez vous !. voyons ! à Raumnitz ! vous le soignez, Raumnitz ! vous le connaissez !. si il veut agir ! moi vous savez la police de Siegmaringen. toutes les polices ! »
Il avait plus du tout envie de se mêler de rien, Brinon. ni pour la gale. ni pour les chancres. ni pour mes tuberculeuses. ni pour les mômes de Cissen qu’on faisait mourir à la carotte… ni contre mon dingue chirurgien. il comme jouissait de plus rien faire.
« Ah ! Docteur ! une chose ! une nouvelle ! vous êtes condamné à mort par le ” Comité de Plauen ! ” voici votre jugement !… »
De son sous-main il me sort un « faire-part » le même format, même libellé. comme j’en recevais tant à Montmartre. mêmes motifs. « traître, vendu, pornographe, youdophage. » mais au lieu de « vendu aux boches ». « vendu à l’Intelligence Service ». s’il y a quelque chose de fastidieux c’est les « terribles accusations ». rabâchis pires que les amours !. je vois encore plus tard, en prison, au Danemark. et par l’Ambassade de France. et par les journaux scandinaves. pas de mal à la tête !. simplement : « le monstre et vendu le pire de plus pire ! qui dépasse les mots !. que la plume éclate !. » sempiternels forfaits de monstre : vendeur de ceci !. de cela !. de toute la Ligne Maginot ! les caleçons des troupes et cacas ! généraux avec ! toute la flotte, la rade de Toulon ! le goulet de Brest ! les bouées et les mines !. grand bazardeur de la Patrie ! question des « collabos » féroces ou « fifis » atroces épurateurs de ci. de ça. une chose, c’est qu’à Londres, Montmartre, Vichy, Brazzaville, c’était méchants douteux partout ! flicaille Compano !. super-nazi de l’Europe nouvelle ou Comité de Londres ou de Picpus ! gafe ! en quart tous de vous foutre à la broche ! hachis ! paupiette !
A suivre