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4 janvier 2019

Terriblement mécontente de moi…

Publié par ditchlakwak dans Journal de la comtesse Léon Tolstoï
27 juillet 1891.

Terriblement mécontente de moi… De grand matin, Liovotchka m’a réveillée par des caresses passionnées… Puis j’ai pris un roman français, Un Cœur de femme, de Paul Bourget, et j’ai lu dans mon lit jusqu’à 11 heures et demie, ce que je ne fais jamais. Cette ivresse à laquelle je m’abandonne est impardonnable à mon âge. Je suis triste et j’ai des remords. Je me sens coupable, malheureuse ; malgré tous mes efforts, je n’y puis rien. Et cela au lieu de me lever tôt, d’expédier les baschkirs qui manqueront le train, d’écrire au notaire et d’envoyer chercher les pièces ; au lieu de m’occuper des enfants. Sacha et Vania se sont amusés longtemps sur mon lit ; ils ont ri et joué. A la grande joie de Vanitchka, j’ai narré le conte de Lipounouchka, Vanitchka est enrhumé et Sacha souffre de l’estomac. Donné à Micha une courte, mais bonne leçon de musique. Andrioucha fait une traduction d’anglais et a définitivement abandonné la musique. Sonia Mamonova et Khokhlov sont chez nous. Temps clair et frais.
Quel homme étrange est mon mari ! Le lendemain du jour où cette histoire est survenue, il m’a déclaré sa passion et son amour ; il m’a assurée que j’avais sur lui un grand pouvoir et qu’il n’eût jamais cru possible un tel attachement. Mais tout cela est purement physique. C’est le secret de notre désunion. Moi aussi, je suis dominée par sa passion, mais, dans le fond de mon âme, ce n’est pas cela que je veux, que j’ai jamais voulu. J’ai toujours rêvé de relations platoniques, d’une communion spirituelle parfaite que j’ai toute ma vie, essayé d’atteindre. Et le temps a passé et a anéanti presque tout ce qu’il y avait de bien, — en tout cas, c’en est fait de l’idéal.
Le roman de Bourget m’a empoignée parce que j’y ai trouvé les idées et les sentiments dont j’eusse moi-même été capable. Une femme du monde aime simultanément deux hommes : l’un beau, distingué, amoureux d’elle, qui est presque son mari bien que leur union n’ait pas été légitimée, l’autre beau aussi et qui l’aime. Je sais que ce double amour est possible et jusqu’à quel point il l’est. L’analyse en est véridique. Pourquoi un amour en devrait-il nécessairement exclure un autre ? Et pourquoi serait-il impossible d’aimer et de rester pure ?

Journal de la comtesse Léon Tolstoï
Sophie Tolstoï

 

10 octobre 2018

L’histoire absurde, triste, invraisemblable …(3)

Publié par ditchlakwak dans Journal de la comtesse Léon Tolstoï

(suite)

Plus avant dans la soirée, je me couchai. Tout d’abord dans mon lit. Puis, inquiète au sujet de Léon Nikolaïévitch qui était absent, j’allai m’étendre en plein air dans le hamac et tendis l’oreille pour savoir s’il était rentré. L’un après l’autre, chacun vint sur la terrasse. Puis ce fut au tour de Liovotchka. Tout le monde causait, criait, riait. Liovotchka était très animé comme si de rien n’était. Exigences de sa raison, obéissance à ses principes, mais son cœur n’avait pas été touché le moins du monde. Que de fois déjà m’a-t-il porté semblable coup ! Il ne saura jamais que j’ai été si près de me suicider et, s’il l’apprend, il ne le croira pas.
Dans le hamac, je me suis endormie. J’étais à bout de forces, physiquement et moralement. Macha, une bougie à la main, est venue chercher quelque chose et m’a réveillée. Je suis allée prendre du thé. Quand nous fûmes tous réunis, nous avons lu à haute voix Un Homme étrange de Lermontov. Puis, lorsque chacun s’en fut allé de son côté et que Guinsbourg fut parti, Liovotchka vint auprès de moi, m’embrassa et me dit quelques paroles de réconciliation. Je le priai de publier ses déclarations et de n’en plus parler. Il m’a dit qu’il ne les publierait pas avant que je comprisse qu’il le fallait ainsi. J’ai répondu que je ne savais pas mentir, que je ne mentirais pas et que comprendre cela m’était impossible. Des émotions comme celles d’aujourd’hui avancent l’heure de ma mort. Quelque chose en moi s’est brutalement brisé. Qu’ils frappent, pourvu qu’ils m’achèvent au plus tôt ! Voilà ce que je pense.
Encore, toujours, la Sonate à Kreutzer me poursuit. La période de satiété est venue [18]. Aujourd’hui j’ai de nouveau expliqué à Liovotchka que je ne voulais plus être sa femme. Il m’a répondu que tel était son désir, mais je ne l’ai pas cru.
En ce moment, il dort et je ne puis aller auprès de lui. C’est demain la fête de Macha Kouzminskaïa ; les enfants préparent une charade sous ma direction. Dieu veuille que rien ne nous dérange et ne vienne troubler notre paix.

Journal de la comtesse Léon Tolstoï
Sophie Tolstoï

3 septembre 2018

L’histoire absurde, triste, invraisemblable …(2)

Publié par ditchlakwak dans Journal de la comtesse Léon Tolstoï

(suite)

Je me rappelle que, dans ma jeunesse, chaque querelle faisait naître en moi le désir de me suicider, mais alors, je sentais que je ne pouvais pas accomplir cet acte. Aujourd’hui, je l’eusse fait si le hasard ne m’avait sauvée. Je courais vers Kozlovka dans un état de complète démence. Je ne sais pourquoi la pensée de Liova ne me quittait pas. Je me disais que si je trouvais, à l’instant même, un télégramme ou une lettre m’informant qu’il n’est plus, cette nouvelle ne ferait que hâter l’exécution de mon dessein. Arrivée non loin du petit pont, près du grand ravin, je m’étendis à terre pour reprendre haleine. Le crépuscule tombait, mais je n’avais pas peur. C’est étrange, mais ce qui me paraissait alors le plus important, c’est qu’il serait honteux de rentrer à la maison et de ne pas accomplir mon projet. Hébétée, calme, je marchais vers le but. J’avais un mal de tête terrible comme si j’eusse été serrée dans un étau. Tout en poursuivant mon chemin, j’aperçus quelqu’un en blouse qui venait de Kozlovka. Je me réjouis pensant que c’était Liovotchka et que nous allions nous réconcilier. Or, c’était Alekseï Mikhaïlovitch Kouzminskii. J’étais fâchée qu’il vînt à l’encontre de mon dessein et sentais qu’il ne me quitterait pas. Il fut très étonné de me voir seule et, à l’expression de mon visage, comprit que j’étais profondément bouleversée. Je ne m’attendais pas le moins du monde à le rencontrer, m’efforçais de lui persuader qu’il devait me laisser, regagner la maison, que j’allais rentrer tout de suite. Mais sans me lâcher, il insistait pour que je l’accompagnasse et, me montrant le foule qui passait de l’autre côté, il me dit que j’aurais peur de ces gens et qu’on ne savait jamais qui rôdait par ici.
Il ajouta qu’il aurait voulu faire le tour par Voronka et Goriéla Poliana, mais que, surpris, par un essaim de fourmis ailées, il avait dû se réfugier dans les fourrés et se déshabiller. Ayant ainsi perdu du temps, il avait décidé de rentrer à la maison par le même chemin. Comprenant que Dieu ne voulait pas que je commisse ce péché, je me soumis à contre-cœur et suivis Kouzminskii. — Mais ne voulant pas rentrer à la maison, j’allai seule me baigner. Je songeais qu’il me restait encore une issue, que je pouvais me noyer. J’étais hantée par un stupide désespoir, par le même désir de quitter la vie qui nous impose des tâches au-dessus de nos forces. — Dans la forêt, il faisait tout à fait sombre. Comme j’approchais du ravin, une bête qui traversait la route, s’élança sur moi. Était-ce un chien, un renard ou un loup ? Je ne le sais, car je suis myope et ne vois pas de loin. Je me suis mise à crier de toutes mes forces. D’un pas rapide, l’animal se précipita sous bois ; j’entendis les feuilles mortes bruire sous ses pieds. Tout courage m’ayant abandonnée, je regagnai la maison et allai auprès de Vanitchka. Je le trouvai déjà au lit. Il me caressa tout en répétant : « Maman, maman ! » Je me souviens que, naguère, dans un tel état d’âme, je retrouvais toujours, auprès des enfants, le sens de la vie. Aujourd’hui, à ma grande terreur, je constate qu’au contraire, dans leur voisinage, ma tristesse et mon désespoir ne font que croître.
(A suivre)

Journal de la comtesse Léon Tolstoï
Sophie Tolstoï

24 août 2018

L’histoire absurde, triste, invraisemblable …(1)

Publié par ditchlakwak dans Journal de la comtesse Léon Tolstoï
21 juillet 1891

Force m’est de narrer l’histoire absurde, triste, invraisemblable qui est arrivée aujourd’hui. A vrai dire, je ne sais ce qui est absurde. Est-ce moi ? Sont-ce les situations dans lesquelles on se trouve parfois placé. Je suis excédée, brisée d’âme et de corps !
Aujourd’hui, avant le déjeuner, Liovotchka m’annonce qu’il adresse à quelques journaux une lettre par laquelle il renonce à ses droits sur toutes ses dernières œuvres. Il y a quelque temps, lorsqu’il m’avait fait part de cette intention, j’avais décidé de me soumettre humblement et je l’avais fait. A quelques jours de là, il revint sur cette question. Cette fois, n’y étant pas préparée, j’éprouvai tout d’abord envers lui un sentiment mauvais, c’est-à-dire je sentis nettement tout ce que cette démarche avait d’injuste envers la famille. Pour la première fois, je compris que, par cette renonciation, il déclarait encore une fois publiquement son désaccord avec sa femme et ses enfants. C’est là surtout ce qui m’a alarmée ! Nous nous sommes dit l’un à l’autre maintes choses déplaisantes. Comme je lui reprochais son avidité de gloire, sa vanité, il s’est écrié que j’avais besoin de roubles et qu’il n’avait jamais vu femme plus bête et plus avide que moi. Je lui ai reproché de m’avoir constamment humiliée parce qu’il n’avait pas l’habitude d’avoir affaire à des femmes comme il faut ; il prétendit que tout l’argent que je recevais ne me servait qu’à gâter les enfants. Il finit par me crier : « Va-t’en, va-t’en ! » — Je suis partie. Ne sachant que faire, j’allai d’abord au jardin. Le gardien s’étant aperçu que je pleurais, j’eus honte de moi. Alors j’allai dans le verger aux pommes, m’assis au bord d’un petit fossé et, avec le crayon que j’avais dans la poche, je signai toutes les déclarations. Puis j’écrivis dans mon petit carnet que j’allais me suicider à Kozlovka parce que j’étais accablée par la discorde qui régnait entre Liovotchka et moi, parce que je n’avais plus la force de décider seule toutes les questions concernant la famille.
Telles étaient les raisons pour lesquelles je voulais quitter la vie.
(A suivre)

Journal de la comtesse Léon Tolstoï
Sophie Tolstoï

18 juillet 2018

Le soir, nous avons parlé …

Publié par ditchlakwak dans Journal de la comtesse Léon Tolstoï
15 juin 1891

Allée à Toula avec ma fille Macha ; moi pour l’affaire de partage, Macha pour mettre en apprentissage le petit Filka. Elle y a réussi. L’affaire du partage en reste toujours au même point, car Macha ne veut pas accepter sa part. La pauvre ne se rend pas compte de ce que signifie rester sans un sou, après avoir vécu comme elle a vécu. Elle a décidé cela en état d’hypnose et non par conviction. Elle attend son père pour lui demander conseil. En tout cas, il faut qu’elle consente à signer quelques pièces.
Le soir, nous avons parlé des morts, des agonisants, des pressentiments, des songes et, en général, de tout ce qui agit sur l’imagination. Nous avons été interrompus par la femme du docteur Koudriatzev qui arrive du Caucase. Elle aurait voulu voir Léon Nikolaïévitch, mais ne l’a pas trouvé à la maison. Ensuite est arrivé Micha Kouzminskaïa qui nous rapporté des faits très intéressants. Cette nuit on été dérobés dans le pavillon différents objets appartenant à Tania. Certains indices ont permis de conclure que le vol avait été commis par une folle, la sœur de la nourrice de Mitia. Accompagné de la nourrice, Micha s’est rendu chez cette folle et prudemment l’a questionnée sur l’endroit où elle avait fourré les objets disparus. L’aventure ne manque pas d’originalité ! La folle a retrouvé, l’une après l’autre, toutes les choses qu’elle avait cachées : un album sous des buissons à Iasienki ; au cimetière, près de l’église, un coffret à ouvrage et des clefs qu’elle avait recouverts de petits cailloux ; deux serviettes et une blouse, sous le pont. Dans le fossé boueux, elle avait piétiné sa propre sarafane et le pantalon de son mari ; enfin elle avait suspendu à un arbre dans le jardin de Téliatniki un encrier ancien en argent. Elle se souvenait de tout. L’un après l’autre, tous les objets furent retrouvés à l’exception de l’encrier que l’on ne put aller chercher car il faisait déjà sombre. Ce soir, il a plu, mais trop peu ; la température est plus douce. Dieu veuille qu’il pleuve davantage !

Journal de la comtesse Léon Tolstoï
Sophie Tolstoï

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