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24 septembre 2023

Mort à crédit (266)

Publié par ditchlakwak dans "Mort à crédit" par Louis Ferdinand Céline

C’était pas commode de s’étreindre, à cause de mon pardessus qu’était solidement amarré avec ses ficelles dans l’intérieur de mon falzar !… Ça limitait les mouvements, mais ça me tenait extrêmement chaud… C’était nécessaire ! L’hiver était déjà sur nous !… Le corps de logis principal, malgré la cheminée, le calfatage il était pourri de courants d’air… Il gardait tous les vents coulis et pas beaucoup de chaleur… C’était une passoire pour frimas… C’était vraiment une très vieille tôle.
Ce fut une idée splendide qu’il eut alors, des Pereires, après bien des méditations à la Grosse Boule et dans les bois… Il voyait encore bien plus grand et bien plus lointain que d’habitude !… Il devinait les besoins du monde…
« Les individus c’est fini !… Ils ne donneront plus jamais rien !… C’est aux familles, Ferdinand ! qu’il convient de nous adresser ! Une fois pour toutes, toujours aux familles ! Tout pour et par la famille !… »
C’est aux « Pères angoissés de France » qu’il a lancé son grand appel ! À ceux que l’avenir de leurs chers petits préoccupait par-dessus tout !… À ceux que la vie quotidienne crucifiait lentement au fond des villes perverses, putrides, insanes !… À ceux qui voulaient tenter l’impossible pour que leur petit chérubin échappe à l’atroce destinée d’un esclavage en boutique… d’une tuberculose de comptable… Aux mères qui rêvaient pour leurs chers mignons d’une saine et large existence absolument en plein air !… loin des pourritures citadines… d’un avenir pleinement assuré par les fruits d’un sain labeur… dans des conditions champêtres… De grandes joies ensoleillées, paisibles et totales !… Des Pereires solennellement garantissait tout cela et bien d’autres choses… Il se chargeait avec sa femme de tout l’entretien complet de tous ces petits veinards, de leur première éducation, de la secondaire aussi, la « rationaliste »… enfin de l’enseignement supérieur « positiviste, zootechnique et potager »…
Notre exploitation « radiotellurique » se transformait, séance tenante, par l’apport des souscripteurs en « Familistère Rénové de la Race Nouvelle »… Nous intitulions ainsi sur nos prospectus notre ferme et ses domaines… Nous couvrîmes en quelques jours, avec nos « appels », plusieurs quartiers de Paris… (tous expédiés par Taponier)… les plus populeux… les plus confinés… encore quelques îlots du côté d’Achères où ça pue, pour voir… Nous n’éprouvions qu’une seule crainte, c’est qu’on nous envahisse trop tôt ! Nous redoutions comme la peste les engouements trop frénétiques !… L’expérience !
Question d’abondante nourriture avec notre « radio-tellurie » le problème n’existait pas !… Il ne subsistait en somme qu’un seul véritable écueil… La saturation des marchés par nos pommes de terre « ondigènes » !… On y penserait au moment !… On engraisserait les cochons !… Autant comme autant !… Nous tiendrions aussi une forte basse-cour !… Les pionniers boufferaient du poulet !… De cette alimentation mixte Courtial était très partisan… La carne c’est bon pour la croissance !… Nous vêtirions, il va de soi, sans aucune difficulté, tous nos petits pupilles avec le lin de notre ferme !… tissé en chœur, en cadence, pendant les longues soirées d’hiver !… Ça sonne… Ça s’annonçait au mieux ! Une splendide ruche agricole ! Mais sous le signe de l’intelligence ! pas seulement de l’instinct ! Ah ! Des Pereires tenait beaucoup à cette distinction ! Il voulait que ça soye rythmique !… fluent ! intuitif !… Des Pereires résumait ainsi la situation. Les enfants de la « Race Nouvelle » tout en s’amusant, s’instruisant de droite à gauche, se fortifiant les poumons, nous fourniraient avec joie une main-d’œuvre toute spontanée !… rapidement instruite et stable, entièrement gratuite !… mettant ainsi sans contrainte leur juvénile application au service de l’agriculture… La « Néo-Pluri-Rayonnante »… Cette grande réforme venait du fond, de la sève même des campagnes ! Elle fleurissait en pleine nature ! Nous en serions tous embaumés ! Courtial s’en reniflait d’avance !… On comptait sur les pupilles, sur leur zèle et leur entrain, tout à fait particulièrement, pour arracher les mauvaises herbes ! extirper ! défricher encore !… Vrai passe-temps pour des bambins !… Torture infecte pour des adultes !… Des Pereires alors, dispensé par cet industrieux afflux des mesquineries de la basse culture, pourrait s’adonner totalement aux mises au point très délicates, aux infinis tatillonnages de son « groupe polarisateur » !… Il gouvernerait les effluves ! Il ne ferait plus autre chose ! Il inonderait, accablerait notre sous-sol de tous les torrents telluriques !…

A suivre

17 septembre 2023

Mort à crédit (265)

Publié par ditchlakwak dans "Mort à crédit" par Louis Ferdinand Céline

D’autre part, c’était pas possible de lui faire comprendre à la vieille au juste notre situation… Qu’on venait en particulier de flamber précisément notre suprême petite réserve… le reste du cureton, dans les courses par correspondance… Ah ! Car enfin on l’avait perdu… C’était à coup sûr une horrible attaque… La fin du système !… Un cataclysme pas affrontable… Nous étions vraiment ennuyés. Elle devenait d’une intolérance absolument fanatique maintenant qu’elle était butée sur la question
de pommes de terre… Ça devenait absolument kif comme pour le coup des ascensions !… ou pour son chalet de Montretout… Y avait plus à en démordre !… Quand elle s’était vouée à un truc, elle se vrillait dedans comme un boulon, fallait arracher toute la pièce !… C’était extrêmement douloureux !…
« Tu me l’as dit, n’est-ce pas ?… Tu vas pas te dédire ?… Je t’ai bien entendu ?… Tu me l’as répété dix fois… cent fois !… Que t’allais la faire marcher ta sale engeance électrique ? J’avais pas la berlue ?… C’est pour ça, n’est-ce pas, qu’on est venus tous par ici ?… J’imagine rien ?… C’est pour ça que t’as vendu la boîte pour un morceau de pain ?… Lavé ton journal ?… Que tu nous as tous embarqués de gré, de force, de violence dans cette fondrière !… dans cette porcherie !… Cette pourriture !… Oui ?…
— Oui, ma toute aimée !…
— Alors, c’est bien !… Moi je veux voir ! Tu m’entends ?… Je veux voir !… Je veux voir tout !… J’ai tout sacrifié ! Toute mon existence !… Ma santé… Tout mon avenir… Tout !… Il me reste plus rien… Je veux les voir pousser !… Tu m’entends ?…
Pous-ser ! ! !… »
Elle se plantait là en défi, elle lui jetait ça entre quatre yeux !… À force de faire des travaux durs elle possédait des biscotos qu’étaient pas pour rire !… Des masses redoutables !… Elle chiquait à travers champs… Elle ne fumait sa pipe que le soir, et pour aller au marché… Le facteur Eusèbe, qui ne desservait plus notre endroit depuis des années, il a fallu qu’il recommence… Il se payait ça deux fois par jour !… Le bruit s’était répandu, très vite, dans les autres provinces, que certains agriculteurs faisaient des merveilles, réalisaient des miracles dans la culture des pommes de terre par les effluves magnétiques…
Notre vieille clique des inventeurs nous avait reflairés à la trace !… Ils semblaient tous bien heureux de nous retrouver tous les trois… sains et saufs… Ils nous rassaillaient de projets !… Ils ne gardaient pas du tout de rancune !… Le facteur il avait sa claque… Il se coltinait trois fois par semaine des sacs entiers de manuscrits… Sa besace était si lourde que son cadre en avait rompu… Il avait mis une double chaîne… sa bicyclette s’était repliée sur elle-même… Il en réclamait une autre, une neuve, au Département…
Des Pereires, dès les premiers jours, il s’était remis à méditer… Il profitait intensément des loisirs et de la solitude… Il se sentait préparé enfin contre les aléas du sort. Et n’importe lesquels !… Il était plein de méditations ! Absolument résolu ! La Résolution !… Il l’affronterait son Destin !… Ni trop confiant… Ni trop défiant… juste averti !…
« Ferdinand ! Regarde ! et constate !… Les événements se déroulent à peu près comme j’avais prévu !… Seulement avec un peu d’avance !… Une cadence un peu nerveuse !… Et je n’y tenais pas !… Toutefois, tu vas voir… Observe ! N’en perds pas une petite miette ! Pas un atome lumineux !… Admire comme Courtial, mon enfant, va terrasser, dompter, contraindre, enchaîner, soumettre la rebelle fortune !… Regarde ça ! Ébaubis-toi ! Renseigne-toi ! Tâche d’être impavide et prêt à la seconde ! Aussitôt servi je te la passe ! Et hop ! Étreins ! Étrangle ! Ce sera ton tour ! Bise ! Crève la garce ! Mes stricts besoins personnels sont ceux d’un ascète ! Je serai promptement repu ! Gavé ! Submergé d’abondance ! Saigne-la toi ! Vide-lui toute la sauce !… T’as l’âge de toutes les ivresses ! Profite ! Abuse ! Nom de Dieu ! Reluis ! Fais-en ce que tu veux ! J’en aurai moi toujours de trop !… Embrasse-moi !… Tiens ! nous sommes veinards ! »

A suivre

10 septembre 2023

Mort à crédit (264)

Publié par ditchlakwak dans "Mort à crédit" par Louis Ferdinand Céline

— Et toi, grande ordure ? dis donc ? qui c’est qui va t’irriguer ?… Dis-le-moi un peu ?… que je l’entende ?… Allons !… Vas-y ! Avance-toi ! » Il refusait de parler davantage… Il se précipitait vers la ferme… Moi j’avais encore un boulot. J’avais à classer, en rentrant chaque soir, tous nos prélèvements du jour… Sur des planches à part… tout autour de la cuisine… dans des petits cornets… Ils séchaient à la queue leu leu… tous les échantillons de terrain de vingt kilomètres à la ronde !… Ça faisait un riche matériel pour le jour où on choisirait !… mais sûrement que notre rayon le plus riche, c’était celui de Saligons.
À la Grosse Boule comme ça peu à peu, nous étions devenus populaires… Ils l’avaient pris, nos simples ivrognes, le vif goût de courses !… Il fallait même les modérer… Ils risquaient leurs fafiots sans peine… Ils voulaient flamber des trois thunes sur un seul canard !… On refusait net de pareilles mises !… On était plus bons nous autres pour les grandes rancunes… On gardait la paille au cul… avec des extrêmes méfiances… Agathe, la bonne, elle se marrait bien, elle prenait tout le bon temps possible !… Elle tournait putain sur place… C’est les sautes de notre rombière qui nous emmerdaient davantage !…
Avec toutes ses quintes, ses ultimatums… on pouvait plus la digérer… Elle nous courait sur la trompe… Des Pereires pourtant à ce petit égard, il avait bien changé de tactique… Il se foutait plus d’elle au labour… Il l’encourageait à bêcher !… Il la stimulait !… Elle a défriché ainsi, lopin par lopin, semaine après semaine, des espaces énormes !… Sûrement qu’elle nous épouvantait… mais si elle venait à s’arrêter, ça devenait bien pire… Elle avait marre qu’on tergiverse, c’est elle qu’a pris la décision pour la pomme de terre ! On n’a pas pu l’empêcher… Elle a trouvé que comme légume c’était finalement l’idéal… Elle s’est mise tout de suite à l’œuvre. Elle a plus demandé notre avis. Une fois ses tubercules plantés, une surface immense, elle a raconté à tout le monde, à Persant, à l’aller, au retour, qu’on se lançait dans des expériences à « patates géantes » grâce à des ondes électriques ! Ça s’est propagé son ragot, comme une tramée de poudre…
À la Grosse Boule l’après-midi, ils nous accablaient de questions… Nous qu’avions été jusqu’alors très bien blairés et peinards à l’autre bout de l’arrondissement, bien accueillis, bien tolérés, attendus même chaque tantôt par tous les terreux d’alentour, on s’est mis à nous faire la gueule… Ça paraissait louche nos cultures… Ils devenaient jaloux à l’instant… « Pâtâtes ! Pâtâtes ! » qu’ils nous appelaient.
Y avait plus à se défiler ! La grosse chérie était devenue, progressivement, une vraie terreur !… Maintenant, qu’elle avait toute seule retourné un petit hectare, elle nous menait la vie des plus dures !… On hésitait pour lui causer… Elle menaçait de nous suivre partout si on repartait en vadrouille, si on se mettait pas au boulot dans les vingt-quatre heures !… C’était plus la pause !… Il a fallu qu’on s’exécute, qu’on extraye de dessous la bâche et le moteur et sa dynamo… On a dérouillé le gros volant… On l’a élancé un petit peu… On a bien rabobichonné un beau tableau des « Résistances »… Et puis c’était marre !… Et puis on s’est aperçu qu’on manquerait de fil de laiton… Il en fallait énormément, des bobines et des bobines pour faire des quantités de
zigzags entre chaque rangée de patates, sur toute l’étendue de notre culture… Il suffisait pas de cinq cents mètres !… Il en fallait des kilomètres ! Autrement ça marcherait jamais… Sans laiton, pas de radio-tellurisme possible !… Pas de maraîchage intensif ! Finis les effluves cathodiques… C’était la stricte condition… Au fond c’était pas si mal… Nous avons bien cru tout d’abord que ce malheureux laiton il deviendrait notre fine excuse, le bel alibi, qu’elle serait, notre vieille, épouvantée par
le prix du matériel pour un débours aussi critique… que ça la ferait réfléchir, qu’elle nous ficherait un peu la paix… Mais au contraire, pas du tout !… Ça l’a plutôt refoutue en rogne… Elle nous a menacés si on lanternait davantage… si on faisait traîner les choses, d’aller toute seule s’établir à Saligons comme sage-femme et pas plus tard que la semaine prochaine ! Ah ! vraiment y avait plus d’amour ! Elle nous fabriquait sur le vif !… Mais même de bonne volonté, il nous restait plus assez de sous
pour des achats aussi coûteux… Mais nom de Dieu ! c’était la ruine !… Qui ça nous aurait fait crédit ?… C’était pas la peine de tenter…

A suivre

3 septembre 2023

Mort à crédit (263)

Publié par ditchlakwak dans "Mort à crédit" par Louis Ferdinand Céline

Ah ! à leur faire éclater la pulpe !… C’était le danger, le seul point critique… Il le pressentait… Il aurait alors fallu renoncer aux petites primeurs, dans ce terrain vraiment trop riche… Choisir quelque chose de rustre et de vulgairement résistant… Le
potiron par exemple… Mais alors pour les débouchés ?… Un seul potiron par ville ?… Un monumental ? Le marché n’absorberait pas tout !… C’était le moment de se concerter ! C’était des nouveaux problèmes ! L’action c’est toujours comme ça.
Dans ce patelin de Saligons les cafetiers faisaient surtout du cidre… Et qui sentait pas l’urine ! ce qui est, il faut bien l’avouer, tout à fait rare en pleine campagne ! Il montait un peu à la tête, surtout leur mousseux… On s’était mis à bien en boire… pendant nos tournées prospectrices ! Ça se passait tout à la Grosse Boule… la seule auberge de l’endroit… Nous y retournâmes de plus en plus… c’était central et bien placé juste devant le marché aux bestiaux… La conversation des bouseux ça nous instruisait des usages…
Des Pereires il a fait qu’un bond pour se jeter sur le Paris-Sport… Y a longtemps qu’il était sevré… Comme il parlait à tout le monde… il a tout pu leur faire connaître en échange des bons procédés… des petites leçons sur le cheptel… quelques excellentes manières, infiniment ingénieuses pour jouer à Vincennes… même à grande distance… Il se faisait des belles relations… C’était le rendez-vous des éleveurs… Je le laissais causer… Moi la bonniche elle me revenait bien… Elle avait le cul presque carré tellement qu’il était fait en muscles. Ses nichons aussi de même c’était pas croyable comme dureté… Plus on secouait dessus, plus ils se tendaient… Une défense terrible… On y avait jamais mangé le crac… Je lui ai tout montré… ce que je savais… Ce fut un coup magnétique ! Elle voulait quitter son débit, venir avec nous à la ferme ! Avec la mère des Pereires, ça aurait pas été possible… Surtout qu’à présent la vieille elle sentait un peu la vapeur… elle trouvait qu’on y allait souvent du côté de ce Mesloir… Elle se gourait d’un petit paillon… Elle nous posait des drôles de colles… On restait fort embarrassés… La prospection des légumes, elle y croyait de moins en moins… Elle nous cherchait la petite bête… L’été s’avançait
sérieusement… ça serait bientôt la grande récolte… Merde !…
À la Grosse Boule, les paysans ils changeaient brusquement d’allure, ils devenaient extrêmement drôles… Gomme ça entre deux bolées ils se dépêchaient de lire Paris-Courses… C’est des Pereires qui se démerdait… Il expédiait les petits paris… pas plus d’une thune pour chacun… dans une enveloppe à son vieux pote… jusqu’à cinquante francs maximum !… Il prenait pas davantage !… Mardi, Vendredi, Samedi… et toujours au bar des Émeutes en cheville toujours avec Naguère !… On gardait nous, cinq sous par mise !… C’était notre pécule mignon !… À la bonniche, la dure Agathe, je lui ai appris comment faut faire, pour éviter les enfants… Je lui ai montré que par-derrière, c’est encore plus violent… Du coup, je peux dire qu’elle  m’adorait… Elle me proposait de faire tout pour moi… Je l’ai repassée un peu à Courtial, qu’il voye comme elle était dressée ! Elle a bien voulu… Elle serait entrée en maison, j’avais vraiment qu’un signe à faire… Pourtant c’est pas par la toilette que je l’ai envoûtée !… On aurait fait peur aux moineaux !… Ni par le flouze !… On lui filait jamais un liard !… C’était le prestige parisien ! Voilà.
Mais en rentrant le soir, par exemple, y avait de plus en plus la casse !… Elle était plus marrante l’Irène !… On rappliquait de plus en plus tard !… On avait droit aux forts excès !… Aux séances horribles !… Elle s’en arrachait les tifs au sang ! par touffes et par plaques ! à force qu’il ne se décidait pas pour choisir son « bon » légume… et son terrain maximum !… Elle s’y était mise la daronne, toute seule aux travaux des champs… Elle retournait la terre pas mal !… Elle savait pas encore faire un sillon
absolument droit… mais y avait de l’application… Elle y parviendrait !… Elle débroussait joliment bien !… Et c’est pas l’espace qui manquait pour s’entraîner un peu partout… À Blême-le-Petit, on pouvait y aller carrément… tout le territoire c’était des friches… À droite, au Nord, au Sud, à gauche, y avait pas de voisins et à l’Ouest non plus !… C’était tout désert… desséché… parfaitement aride…
« Tu t’épuises, ma grosse toutoute ! qu’il l’interpellait Courtial, comme ça en pleine nuit, quand nous la retrouvions sur le tas encore en train d’en retourner… Tu t’épuises ! ça ne sert à rien !… Cette terre est des plus ingrates ! J’ai beau me tuer à te
le dire !… Les paysans d’ici eux-mêmes, ils ont graduellement renoncé !… Je pense qu’ils se tourneront vers l’élevage !… Encore que l’élevage dans ces plaines !… Avec toutes ces marnes subjacentes !… ces failles calcico-potassiques !… Je ne les vois pas frais !… C’est une sévère entreprise !… avec des aléas énormes !… Des pépins abominables !… Je prévois !… Je prévois !… Irriguer un pétrin pareil ?… Ah ! là ! là !…

A suivre

27 août 2023

Mort à crédit (262)

Publié par ditchlakwak dans "Mort à crédit" par Louis Ferdinand Céline

« Des haricots ?… Des haricots ?… Ici ?… Dans ces failles ?… Tu entends, Ferdinand ?… Des haricots ? dans un terrain sans manganèse ! Et pourquoi pas des petits pois ?… Hein ?… des aubergines ! pendant que tu y es !… C’est un comble !… » Il était outré !… « Du vermicelle ! Te dis-je !… Des truffes !… Tiens ! des truffes !… »
Il s’en dandinait longtemps à travers la turne… grognant comme un ours… Ça durait des heures entières, le courroux que lui provoquait toute proposition insolite… Là-dessus il était intraitable ! Le choix libre ! la sélection scientifique !… Elle partait se
coucher toute seule, dans son débarras sans fenêtre, une espèce d’alcôve, qu’elle s’était aménagée contre les traîtres courants d’air… entre la batteuse et le pétrin… On l’entendait sangloter de l’autre côté de la cloison… Il était dur avec elle…
Ça vraiment on peut pas dire qu’elle ait jamais manqué de courage ni de persévérance !… ni d’abnégation… Pas un seul jour ! pour rapproprier cette vieille turne elle a réussi des prodiges !… Elle arrêtait pas de trafiquer… Rien marchait plus… tirait plus… ni la pompe ni le moulin qui devait monter l’eau… L’âtre il s’écroulait dans la soupe… Il a fallu qu’elle mastique toutes les fentes dans les clôtures, qu’elle bouche elle-même tous les trous… toutes les fissures de la cheminée… qu’elle rafistole les volets, qu’elle remette des tuiles, des ardoises… Elle grimpait sur toutes les gouttières… Mais cependant au premier orage il a plu beaucoup dans les piaules envers et quand même… par les trous du toit… On mettait là-dessous des timbales… une pour chaque rigole… De réformes en transformations, elle s’appuyait des vrais boulots, pas que des petites bricoles !… Elle a remplacé comme ça les gonds énormes de la grande porte, la grande « maraîchère »… L’ébénisterie… la serrurerie… rien lui faisait peur… Elle devenait parfaitement adroite… On aurait dit un compagnon… Et puis bien sûr, tout le ménage et la tambouille c’était son business… Elle le disait bien elle-même, aucune entreprise lui faisait peur, hormis la lessive !… De ça, y en avait de moins en moins… Nous avions le trousseau « minimum »… Des chemises à peine… et des chaussures plus du tout.
Pour les lézardes des gros murs, elle s’était gourée un petit peu, elle avait loupé son plâtre !… Des Pereires, il faisait la critique, il aurait voulu qu’on recommence… seulement nous avions d’autres soucis !… C’est bien grâce à elle, en définitive, que cette tanière vermoulue a repris un peu consistance… enfin, plus ou moins. C’était qu’une ruine tout de même… quoi qu’on fasse pour la requinquer elle tournait gadouille…
Elle avait beau être héroïne son opération des ovaires ça la tracassait de plus en plus notre pauvre daronne… Peut-être les trop grands efforts ?… Elle transpirait par vraies cascades… Elle en ruisselait dans ses bacchantes… avec les bouffées congestives… Le soir elle était si à cran, tellement excédée du poireau… qu’au moindre mot un peu de travers… Taraboum !… C’était l’orage ! Une intense furie !… Crispée en boule elle attendait… elle explosait pour des riens… Ça finissait plus l’engueulade…
Ce qu’il fallait surtout se méfier, c’était des moindres allusions aux belles histoires de Montretout !… Elle les gardait sur l’œsophage… Ça la rongeait comme une tumeur. Sitôt qu’on en touchait un mot, elle nous traitait horriblement, elle disait que c’était un complot !… Elle nous appelait des suçons, des lopes, des vampires… Il fallait qu’on la couche de force !…
Le difficile pour des Pereires c’était toujours de se décider à propos de son fameux légume… Il fallait trouver autre chose… On doutait maintenant des radis… Quel légume qu’on entreprendrait ?… Lequel qui serait approprié à la radio-tellurie ?… Et qu’on ferait décupler de volume ?… Et puis y avait le choix du terrain !… C’était pas une petite question !… C’était des minutieuses recherches… Nous avions déjà donné des petits coups de pelle exploratrice dans tous les lopins de la région, à quinze kilomètres à la ronde !… On se lancerait donc pas à lure-lure… On réfléchissait ! C’est tout…
À l’opposé de Persant, c’est-à-dire au sud, dans le cours de nos prospections, nous sommes tombés, un joli jour, sur un village bien agréable, vraiment accueillant… C’était Saligons-en-Mesloir !… C’était assez loin à pied… Il fallait au moins deux bonnes heures de Blême-le-Petit… Jamais notre rombière aurait l’idée de venir nous relancer dans cette planque… La terre tout autour de Mesloir, Courtial l’a découvert tout de suite, était bien plus riche que la nôtre en teneur « radio-métallique » et par conséquent, d’après ses estimations, infiniment plus féconde, et rapidement exploitable… On est revenus l’étudier presque chaque après-midi !… Le fort de ce terreau-là, c’était son « cadmio-potassique ! » et son calcium particulier !… Au
toucher, à l’odeur surtout, on s’apercevait… il sentait tout de suite des Pereires, il paraît qu’en fait de teneur c’était simplement prodigieux… En y repensant davantage, il arrivait à se demander si ça ne serait pas même par trop riche pour catalyser « tellurique ! »… Si on atteindrait pas des fois des concentrations si fortes qu’on ferait péter nos légumes ?…

A suivre

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